Entrevue avec Louise Lecavalier pour ses 40 ans de carrière
Le long-métrage documentaire sur les quarante ans de carrière de Louise Lecavalier « Sur Son Cheval de Feu » est sorti récemment et nous avons eu le plaisir de l'avoir en entrevue pour recueillir ses impressions et en savoir davantage sur le processus qui a mené au produit final!
Catherine : Qu'est-ce qui vous a convaincu de faire un documentaire sur la carrière de Louise Lecavalier?
Louise Lecavalier : Ça n'a pas été facile de me convaincre, ça faisait plusieurs années que Michel Ouellette, le producteur, m'en parlait. J'aime beaucoup Michel, j'écoutais toujours ses propositions, mais au fond je n'avais pas vraiment envie qu'il y ait un documentaire sur moi. Puis ça s'est concrétisé avec Raymond St-Jean parce qu'on s'est retrouvé à l'ouverture du FIFA il y a environ 4 ans. [...] Donc on a pu se rencontrer comme ça, parce que j'ai vu son travail et j'ai beaucoup aimé son travail présenté là. Donc l'idée a a germé à nouveau dans la tête de Michel, mais avec Raymond. Et parce que c'était Raymond, je m'y suis intéressée davantage. Je pense que je me suis faite un peu attrapée parce que je ne croyais pas qu'on allait avoir les subventions nécessaires, mais on a fini par les avoir! J'étais... pas paniquée, mais je n'étais pas tout à fait certaine de vouloir faire un documentaire. Puis j'ai parlé avec Raymond pour qu'il y ait surtout de la danse, puisque je n'avais pas vraiment envie de parler. Je lui ai dit que s'il voulait faire parler d'autres personnes, ça m'allait. Il n'a pas vraiment insisté, mais finalement on a pas mal fait d'entrevue après les journées de travail.
C: Mais Louise, vous êtes super intéressante. Vous êtes vraiment consciente de qui vous êtes et vous le racontez vraiment avec une passion et une présence. Je ne comprends pas, êtes-vous mal à l'aise à raconter?
L : Je n'ai pas de malaise à parler en privé à mes amis de différentes histoires, mais quand je sais que ça va être vu et entendu peut-être plus qu'une, deux ou trois fois, en plus que parfois je change d'idée et ça évolue tout le temps... Et puisque dans un film, c'est fixe, c'est toujours plus inquiétant! Je pourrais dire la même chose pour la danse, puisque la danse je la fais live sur scène et je peux toujours améliorer (ou penser l'améliorer) d'un soir à l'autre. Mais lorsque c'est capté au cinéma, ça va rester! Mais il faut dire que je suis très très très contente des images qu'il a prises. Je suis la critique la plus dure. [ Il faut dire aussi que personne n'aime vraiment s'entendre enregistré. Je n'ai pas de problème avec ce que les autres dit, mais lorsque c'est moi qui parle, j'ai de la difficulté. On a tous un peu ce réflexe là. ] [...] J'ai été capable de le regarder une fois au complet depuis qu'il est terminé. Je me suis assise seule, au cinéma, et je l'ai regardé en entier sans être trop critique envers moi-même et j'ai pensé que c'était un bon documentaire!
C : Au départ, vous dites que lorsque vous étiez plus jeune, vous ne souhaitiez pas devenir danseuse puisque c'était un métier plus près des garçons...
Louise : En fait, très jeune je n'ai pas pensé à la danse du tout. Mais quand j'ai commencé à prendre des cours de danse, j'aimais beaucoup ça, mais je voyais que comme femme dans la danse... Dans ce que j'avais vu, évidemment, je n'avais pas tout vu, j'ai vu très peu au début. Avant que je croise le groupe Nouvel Air, j'avais vu du ballet classique à la télé et je ne me voyais pas dans les rôles de femmes. Ça ne collait pas à moi et je m'imaginais danser et... Comment dire. Je ne passais pas mes journées à penser à ça, mais ce sont des flashs que j'ai eu des fois. Je me voyais danser, mais je me voyais plus dans le rôle du gars. Je me voyais sauter, etc. Je me voyais dans un rôle neutre, plus. Quelque chose d'androgyne, au fond. Comme ce que je suis un peu.
C: Oui parce que physiquement, c'est vrai que vous avez le look plus androgyne. Ne serait-ce que le corps, la musculature, les cheveux et tout ça...
Louise : Oui eh bien en fait adolescente, j'avais l'air un peu du personnage Gumby, tout droit et sans muscle du tout. Et je ne me voyais pas tellement dans le miroir, c'était différent ce temps-là. On ne se regardait pas autant, ou du moins pas moi. Mais on a tout de même une sensation du corp qu'on a et on vit différemment selon le corp qu'on a. Donc c'est peut-être pour ça que je ne pouvais me voir dans ces rôles féminins. Comme je les avais perçus à ce moment-là.
Mais lorsque j'ai vu le groupe Nouvel Air, il y avait toutes sortes de corp. Toutes les possibilités s'ouvraient tout à coup! Ça m'a semblé possible.
C : Je vous ai connue dans les années 80 avec Edouard Lock et Lalala Human Steps. Jusqu'à quel point Edouard Lock vous a marqué?
Louise : Un très haut point. [rire] Je ne veux pas donner de note, mais je pense que c'est la personne qui m'a le plus marquée. C'est tellement riche comme rencontre. Ce n'est pas qu'on a discuté à en écrire des essais sur la danse, lui et moi, mais je crois qu'on avait une compréhension ou un désir similaire! Beaucoup de différences, aussi. Mais j'aimais beaucoup de choses chez lui; son travail comme chorégraphe, mais sa pensée aussi. C'est quelqu'un d'extrêmement intelligent et très créatif. Ça m'a beaucoup appris. À son contact, le monde de l'art, je l'ai plus trouvé avec lui. Plus d'ouverture de par cette rencontre avec lui. Je l'ai tellement apprécié que je me suis peut-être rendue compte qu'il y a avait une partie de moi qui était créative à mon tour.
C : Et y a-t-il eu une séparation entre lui et toi? Un moment où tu es allée travailler de ton côté et lui du sien?
Louise : Eh bien il n'y a pas eu une séparation drastique, du jour au lendemain. J'ai toujours continué à aimer ce qu'il fait, mais il y a toutes sortes de facteurs qui ont fait que j'ai quitté la compagnie et commencé à faire mes choses. C'était un long chemin de quitter puis de reprendre des choses seule ou avec d'autres. Mais je pense qu'il fallait que je quitte ce processus là avec Edouard. Il commençait à faire vraiment beaucoup de ballet classique et moi, je ne suis pas une spécialiste de danse classique. C'est certain que ça m'a intéressé, les premières années j'ai touché à ça parce que je l'étudiais. Je prenais mes cours pour m'améliorer, ça m'intéressait! Mais j'ai aussi eu une blessure à ce moment là et je savais que je ne pouvais continuer à aller plus loin dans cette forme de danse là. Et lui il a continué d'aller dans cette voix. J'ai donc trouvé tout de même une manière de manoeuvrer et trouver des danses intéressantes qui pouvaient être collées au travail qu'il faisait.
Mais il y avait d'autres raisons aussi. La compagnie est devenue très grande et reconnue, ce qui fait que les représentations étaient toujours dans des grandes salles. C'est beaucoup de pression. J'étais blessée et j'avais peur de me blesser plus. Annuler, c'est beaucoup de frais et tout devient plus compliqué. J'ai vécu ça en 1992-92-94, je ne sais plus trop. Tout ça pour dire qu'en 1999, j'ai décidé de partir et j'avais le goût de recommencer comme au début. Avec peu de gens, pas un autobus de 22 personnes qui partent ensemble. C'est tout un autre mode de vie lorsqu'on est 4-5 dans une compagnie ou quand on est 25.
Je m'ennuyais du début des choses et c'est une des raisons pourquoi je suis partie. Ça n'a jamais été une raison artistique qui m'a faite partir.
C : Quand est-ce que vous avez le plus de plaisir dans votre métier?
Louise : Il y en a souvent! La difficulté et le plaisir se côtoient continuellement. Par exemple, cette semaine je venais de faire un mois de représentations avec Les Marguerite(s) et on a beaucoup de travail en théâtre avant donc c'était pas mal de mois intense. Et là, je suis retournée cette semaine sur des répétitions de Mille Batailles après 24 heures de congé des Marguerites. Et vraiment, retourner travailler en studio, des répétitions en studio c'était un plaisir. Malgré la fatigue! Retrouver une danse différente, puisque j'avais travaillé sur les mêmes durant 4 mois. Retourner en studio, retrouver la répétitrice et retrouver la danse surtout... C'était tellement un plaisir! J'étais tellement contente de ma journée, j'en suis encore contente aujourd'hui. Malgré la demande physique énorme, le trac que j'ai avant une répétition parce que je sais que c'est exigeant, on dirait que la dose de plaisir augmente continuellement à faire ce métier-là pour moi.
Pour en savoir plus sur Louise Lecavalier et son documentaire, visitez son site internet!